Du studio à la rue ou comment les artistes burkinabè investissent l’espace politique

27 mars 2017

Du studio à la rue ou comment les artistes burkinabè investissent l’espace politique

Balai citoyen
©Ahmed Yempabou Ouoba

« Un clochard m’a dit un jour à Casablanca : ‘‘s’organiser, c’est gagner’’ », Smockey

Le continent africain connaît, depuis quelques années, un bouleversement sans précédent de son paysage sociopolitique. De « nouvelles formes de mobilisations » (Awenengo-Dalberto, 2011) se mettent en place dans différents pays en vue d’influencer, le plus souvent avec succès, les règles du jeu politique. De la simple prise de parole, de plus en plus d’artistes optent pour une structuration de leur engagement militant à travers la mise en place d’organisations légalistes, à l’instar du mouvement Y en marre au Sénégal et du Balai citoyen au Burkina Faso.

Cette nouvelle dynamique contestataire, marquée par un investissement empirique de l’arène politique par des artistes, soulève la question du rôle des créateurs dans l’éclosion d’une conscience citoyenne et celle de leur impact sur la gouvernance politique. En effet, tout projet de révolte politique se fonde toujours sur un socle culturel, soulignant ainsi la corrélation entre culture et politique. Toutefois, pour que sa force subversive soit opérante, c’est-à-dire capable d’apporter le changement voulu, la création artistique devrait s’articuler avec un mouvement social effectif, organisé (Savadogo, 2010).

A l’aune de l’expérience du Balai citoyen fin octobre 2014, cet article se propose de questionner le paradigme de citoyenneté culturelle, en explorant la création artistique comme schème d’éveil des consciences, de mobilisation des masses populaires et de revendication sociale. D’une part, la réflexion portera sur l’analyse du rôle des créateurs burkinabè dans le processus de « conscientisation citoyenne et de remoralisation de l’espace politique » (Awenengo-Dalberto, 2011). D’autre part, il s’agira de porter un regard critique sur les mutations profondes dans la dynamique contestataire au Burkina Faso, notamment en mettant en lumière l’urgence d’un activisme politique par les artistes, tel que cela s’est donné à voir sous l’impulsion du Balai citoyen.

 Dénoncer, conscientiser par la création artistique
Par-delà sa fonction ludique, la création artistique joue une fonction sociale et politique de prime importance, comme en témoignent quelques exemples dans les domaines de la cinématographie et des arts de la scène.

Dans le domaine cinématographique, l’Association Semfilms s’est imposée au fil des ans comme un acteur majeur dans la promotion de la liberté d’expression et des droits humains, notamment à travers le festival Ciné droit libre, sa webtv, « Droit Libre TV », des films inédits comme comme « Borry Bana ou le destin fatal de Norbert Zongo » ou plus récemment « Révolution africaine : les dix jours qui ont fait chuter Blaise Compaoré ».

Dans le champ musical, l’analyse des énoncés chantés des artistes musiciens burkinabè renseigne sur la force d’influence de ceux-ci dans la construction d’un imaginaire collectif. Se posant  en de « nouvelles figures de la légitimité », pour reprendre à notre compte l’expression de Banégas et Warnier [1], les artistes burkinabè se font l’écho des revendications et des aspirations les plus profondes de la société. A ce propos, le rappeur Smockey déclare :

« Les gens me demandent continuellement d’écrire des chansons sur différentes problématiques. Comme cet homme qui est venu me voir pour se plaindre des conditions des conducteurs. Donc j’ai rencontré les gens du syndicat de conducteurs, puis j’ai écris une chanson sur leur situation. Finalement leurs conditions se sont améliorées [2] ».

Même son de cloche chez le reggaeman Zêdess dont la musique s’assigne d’une mission de révolte et de combat, avec des chansons phare comme « Directeur voleur », « Fonctionnaire sans conscience » ou encore « Le colon noir ». Il nous livre aussi son poignant témoignage :

« A Ouaga, il n’est pas rare que des gens viennent me trouver pour me signaler que telle ou telle chose ne va pas. Vous comprenez alors que, pour une certaine catégorie de personnes, vous comptez vraiment [3] ».

Parfois les artistes n’hésitent pas à se liguer en vue d’aborder dans leurs chansons des questions sociales ou politiques transnationales. Au lendemain de l’élection présidentielle de 2010, alors que les débats s’achoppaient sur les velléités de maintien au pouvoir de Blaise Compaoré, plusieurs voix étaient montées au créneau afin de tirer la sonnette d’alarme quant au risque d’implosion sociopolitique. Sur l’échiquier national, tout comme au sein de la diaspora, l’on a assisté à un foisonnement sans précédent de productions artistiques. Des artistes musiciens comme Smockey, Sams’ K le Jah, Smarty, Faso Kombat, Valian, Sana Bob ou encore Humanist en France et le collectif Tékré aux Etats-Unis ont écrit des chansons au ton contestataire ou prémonitoire.

Très dynamique, la création théâtrale a aussi fortement contribué à la construction d’une conscience citoyenne sur la réalité triviale de la société burkinabè. Elle s’ancre dans différentes temporalités des révoltes populaires qu’a connues le Burkina Faso depuis son indépendance. L’édition 2014 des Récréâtrales aura marqué plus d’un par son ton délibérément politique et l’actualité intrigante de sa programmation. Outre les débats sur des sujets politiques, certaines pièces, comme La malice des hommes de Jean-Pierre Guingané, entraient en résonnance avec la situation politique du moment. Celle-ci retrace, en effet, le parcours d’un dictateur, manipulateur, qui tire les fils du pouvoir. Appartenant à la nouvelle génération d’écrivains africains – et ancien élève de Guingané – le metteur en scène et dramaturge burkinabè Aristide Tarnagda déploie une écriture foisonnante. En témoigne la quinzaine de pièces à son actif, dont la dernière en date, « Sank ou la patience des morts ». L’œuvre remet en scène le père de la révolution d’août 1983 afin de partager avec tous ses derniers moments, le sens de son combat et son idéal révolutionnaire pour son pays et le continent africain.

Comme le théâtre, la danse constitue une puissante forme de la représentation qui porte les espoirs et les rêves des peuples. Egalement programmée lors du festival Les Récréâtrales en 2014, la pièce chorégraphique Nuit blanche à Ouagadougou de Serge Aimé Coulibaly a bouleversé bon nombre de spectateurs par sa force prémonitoire. Conçue deux ans avant l’insurrection d’octobre 2014, ce spectacle imagine et met en scène une révolution qui s’est réalisée sous nos yeux. Le plus étonnant, c’est que « ce qui se joue sur scène se joue en même temps dans la rue [4] », comme le souligne si bien Smockey. Le geste artistique chez Serge Aimé Coulibaly se confond toujours à son engagement politique. Il a signé plusieurs pièces chorégraphiques dans lesquelles transparaît toujours cet engagement politique, cette rage revendicatrice.

Toutefois, il convient de relever que cette œuvre de conscientisation par la création artistique est un combat de longue haleine. Son impact ne s’évalue que sur le long terme. Pour porter fruit, la création artistique ne peut pas simplement se contenter d’interpeller, de pointer du doigt, de relayer. Elle doit aussi agir en se constituant en force de résistance. C’est ce que souligne justement le professeur Mahamadé Savadogo : « Seule la rencontre hypothétique entre un mouvement social effectif et le créateur est capable de restituer à la création un véritable pouvoir de subversion [5] ».

Quand dénoncer ne suffit plus, on s’organise et on passe à l’action
L’urgence pour les artistes Smockey et Sams’ K le Jah d’inscrire leur engagement militant dans un cadre structurel légalement reconnu, répondait au besoin d’être efficace, de provoquer une transformation immédiate. En l’occurrence, il s’agissait de faire échec au projet de modification de la constitution de Blaise Compaoré afin de se maintenir au pouvoir après 2015.

Calqué sur le modèle de Y en a marre au Sénégal, le Balai citoyen est devenu à la faveur de l’insurrection populaire d’octobre 2014, l’une des figures de proue de la contestation populaire au Burkina Faso. Le succès fulgurant de celui-ci, tout comme son efficacité sur le terrain, l’inscrit alors dans une « concurrence des régimes de légitimité » (Bonnecase, 2015) vis-à-vis des pouvoirs traditionnels, mais confère aussi à ses fondateurs l’image de nouvelles figures incarnant cette légitimité.

Pour mieux appréhender cette force contestataire, il convient de plonger dans les trajectoires militantes de ces deux artistes dits engagés, mais aussi d’un autre membre influent du mouvement, Basic Soul.

Des figures de l’engagement
Il serait erroné de situer la genèse de la carrière militante de ces artistes à la création du Balai citoyen. La description succincte de leurs parcours révèle, à bien des égards, une longue historicité militante de la part de chacun d’eux, dans le cadre de leurs carrières musicales ou au titre d’activités parallèles.

Smockey
Ce sobriquet, Smockey, est une contraction de « se moquer ». Celui-ci désigne bien le personnage : figure fringante utilisant volontiers un humour facétieux pour dénoncer les tares de la société et s’insurger, avec satire, contre le pouvoir politique en place. Aujourd’hui, dans le cadre de son combat au sein du Balai citoyen, il se dit « mouvementiste », plutôt qu’ « activiste [6] ». Son engagement se fonde sur la conscience qu’avant d’être artiste, il est avant tout, comme tout le monde, un citoyen, avec des droits et des devoirs. Mais surtout cette posture le place devant le devoir de se battre pour sa liberté et pour un mieux-être social. C’est là une responsabilité à laquelle il ne peut se dérober car tout le monde n’a pas la chance d’avoir un micro entre les mains [7]. Sa constance dans le combat se résume dans cette profession de foi, tirée de sa chanson Insoumission: « Je préfère rester un chien et être enragé ».

Pour Smockey, la création artistique n’a de sens que par son utilité, comme le donne à constater à suffisance son œuvre. Traversée par des prises de parole fortes entre dénonciation et appel à la révolte, sa musique n’est plus seulement « objet culturel ». Elle est aussi « objet politique » (Gaulier, Gary-Tounkara, 2015). De ce point de vue, l’artiste pourrait reprendre à son compte cette affirmation du roi de l’afro-beat nigérian Fela Kuti, autoproclamé « Chef de la guerilla verbale » depuis sa résidence autonome de « Kalakuta Republik » : « Ma musique est une arme [8] ». Par exemple, sa chanson Votez pour moi, sortie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2005, s’attaque aux simulacres électoraux et aux faux copinages.

Sams’ K le Jah
A défaut de devenir militaire comme son idole Thomas Sankara, c’est dans l’animation radio qu’il trouve sa voie. Après un bref passage à la radio Energie, il rejoint la radio Ouaga FM en 1999. Pendant les 13 années qui vont suivre, Sams’ K le Jah s’est savamment construit, avec ses émissions Zion Vibes et Roots Rock Reggae, la réputation d’un personnage fortement engagé. Ses émissions ont un tel succès et un tel retentissement qu’elles sont piratées et vendues sur CD dans les capitales de la sous-région. « Les pirates m’ont rendu célèbre [9] », se plait-il à dire.

Si l’artiste reggae a forgé sa liberté de ton au sein du cercle familial, il la nourrit aussi des idéaux de deux figures politiques et médiatiques : Thomas Sankara et Norbert Zongo. L’artiste se définit, en effet, comme « l’héritier de Thomas Sankara et l’élève de Norbert Zongo [10] ».

Basic Soul
Souleymane Ouédraogo, plus connu sous le pseudonyme de Basic Soul, est le pionnier du Hip Hop au Burkina Faso. Si sa carrière musicale ne connaît pas l’envolée de ses camarades de lutte au sein du Balai citoyen, c’est davantage dans l’écriture qu’il trouve sa marque. Son blog « 2015, c’est demain ! », crée en 2013, dévoile ses grandes capacités rédactionnelles, mais surtout son analyse pointue de la vie politique nationale, par une convocation minutieuse d’articles de presse et de la mémoire historique des événements que vit le pays.

 Alors que cette plateforme apparaît comme un vrai livre d’histoire politique sur le Burkina Faso, ses prises de position frôlent parfois une outrance et une radicalité à faire grincer les dents. Il n’hésite pas à attaquer, de façon acerbe, les acteurs politiques burkinabè, de la majorité comme de l’opposition. Par exemple, il qualifie Hermann Yaméogo d’ « homme dangereux et d’opposant fantoche », Ram Ouédraogo d’ « homme politique mouton » ou l’ADF/RDA de « traitre parmi les traitres, championne de l’entreprenariat politique ». Cette critique au vitriol n’épargne pas des journalistes comme Issaka Lingani que le blogueur accuse d’être une « plume corrompue et nauséabonde » ayant mis « son journalisme au service de politiciens sans foi ni loi ».

 Des trajectoires individuelles, un même combat
L’analyse des carrières militantes de ces trois artistes, même si celles-ci ne s’insèrent pas dans une historicité syndicale, permet de saisir leurs processus d’ « individuation sociale » et de « subjectivation politique [11] ». La virulence de leurs énoncés contre les acteurs politiques leur a valu l’appellation d’ « artistes engagés » ou de « grandes gueules » de la musique.

Toutefois, cet engagement militant de longue date appelle un constat. Il démontre à souhait que ces artistes ne sont en aucun cas des arrivistes surfant sur la vague des opportunités. Cet engagement prend racine dans une conviction solide et une ligne de conduite en cohérence avec leurs discours. La création du Balai citoyen se situe donc dans la continuité de carrières militantes significatives de chacun de ses fondateurs et de ses membres. Son efficacité, elle, se nourrit de la mutualisation de ces trajectoires individuelles, qui entrent en osmose avec la force mobilisatrice de la création artistique.

Cette conviction des artistes évoquée tantôt est légitimée par une réappropriation des pensées de grandes figures tutélaires nationales, en l’occurrence Thomas Sankara et Norbert Zongo [12], mais aussi de leaders panafricanistes dont ils revendiquent l’héritage et arborent fièrement les effigies ou les messages : Patrice Lumumba, Haïlé Sélassié, Che Guevara, etc. A preuve, l’ancien président révolutionnaire, Thomas Sankara que les tauliers du Balai citoyen ont érigé en « Cibal suprême », aura été pour beaucoup d’insurgés « l’âme de fond de la révolution » [13].

Les prises de position de ces trois figures emblématiques du Balai citoyen révèlent, par ailleurs, leur courage dans un contexte politique délétère où s’exprimer revient à s’exposer au pire : menaces de mort, pressions familiales, intimidations, cambriolages, etc.

Si les parcours individuels de ces artistes justifient la solidité du Balai citoyen, la musique qui porte ses actions joue un rôle prépondérant. Elle a servi de puissante arme de mobilisation avant et pendant l’insurrection populaire, mais elle continue, a posteriori, d’accompagner l’action de veille citoyenne menée par le mouvement.

 La musique, arme de mobilisation et de combat
Au lendemain de l’élection présidentielle de 2010, les débats s’étaient cristallisés autour des velléités non avouées, mais soupçonnées, de Blaise Compaoré de se maintenir au pouvoir à la fin de son dernier mandat autorisé par la constitution. Différentes stratégies étaient mises en place pour soutenir la poursuite de la gouvernance compaoréiste ou opposer la rupture. De tous ces acteurs, le Balai citoyen a brillé par sa capacité à mobiliser des milliers de jeunes, à travers la musique. Au-delà des « répertoires traditionnels de la mobilisation », le collectif a organisé des « concerts-meetings » ou « concerts pédagogiques », des parades dans les villes, des débats citoyens, ainsi que des campagnes : « Ne touche pas à mon article 37 et non au référendum », « un citoyen, un balai, une carte d’électeur », « Après ta révolte, ton vote » et « Je vote et je reste ».

Ces « formes créatives de l’engagement » (Kellenberger, 2006), déployées par le Balai citoyen, s’inscrivent dans la théorie du « Politique par le bas » (Bayard, Mbembe, Toulabor, 2008). Elles permettent, dans les rapports de pouvoir à l’œuvre, de voir comment les acteurs subordonnés parviennent à provoquer des transformations sociales et à influencer les règles du jeu sociopolitique.

Par ailleurs, moins visible que les actions politiques, l’engagement du Balai citoyen se situe aussi dans le champ social. Par le truchement de ses clubs « cibals [14] » à travers le pays et de sa coordination nationale, le mouvement mène diverses actions sociales dans les villes et dans les zones rurales : campagnes de salubrité, remise de matériels médicaux dans les centres sanitaires, dons de sang, reboisement en collaboration avec la police, campagne contre les OGM, etc.

Toutefois, il convient de relever l’absence des artistes et des intellectuels dans les mouvements contestataires de façon générale, comme cela a été le cas lors de l’insurrection populaire de 2014 [15]. En dehors du Balai citoyen, et dans une moindre mesure la Coalition des artistes et des intellectuels pour la culture, les acteurs culturels n’ont pas su s’organiser pour soutenir le progrès social. C’est à croire qu’en dehors de leurs intérêts personnels, comme l’a révélé la marche historique sur le quota de la musique burkinabè dans les médias publics au Burkina Faso le 7 septembre 2013, les acteurs culturels ne se préoccupent nullement des questions socio-politiques. Jean-Marc Adolphe fait le même reproche aux milieux artistiques et culturels qui se sont tenus à l’écart du mouvement « Nuit Debout » en France [16].

Pour sa part, Smockey ne manque pas de critiquer cette posture distante de l’élite culturelle. « Bats-toi à mes côtés », scande-t-il dans sa chanson du même nom. Il renchérit dans cette interview accordée au journaliste David Commeillas : « C’est trop facile de jouer au rebelle dans les clips, mais de ne pas se mouiller quand se présente concrètement l’occasion d’améliorer la situation du pays. Nous n’avions pas d’autre choix que de nous impliquer, car ce sont les gens, le public lui-même qui nous a demandé d’aller parler en son nom [17] ». C’est certainement pour rattraper le coup qu’à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2015, reportée à novembre à cause du coup d’Etat, la Coalition des artistes et des intellectuels pour la culture a lancé sa campagne « Gouverner pour et par la culture ». Il s’agissait de faire un plaidoyer pour faire entendre la voix des acteurs de la culture et pour une transformation profonde de la société burkinabè.

 Conclusion
Pendant longtemps, les artistes burkinabè se sont contentés de dénoncer et d’interpeller les dirigeants politiques à travers leurs créations. Ils ont ainsi participé, de façon diffuse, à la construction d’une conscience citoyenne sur les tares de la société et les manquements dans la gouvernance démocratique.

Mais, l’insurrection populaire d’octobre 2014 à démontré que même si le travail « d’éveil de conscience et de moralisation de l’espace politique » est nécessaire, il ne suffit pas pour provoquer le changement social tant attendu. Il s’est alors posé l’urgence de s’organiser, de descendre dans la rue et d’agir. La création du Balai citoyen confirme bien cette exigence d’une participation active à la gouvernance démocratique pour en dessiner les contours et le contenu. Au-delà des actions d’urgence, en amont et en aval de l’insurrection populaire, le Balai citoyen se positionne aujourd’hui comme le point d’orgue de la veille citoyenne. Comme il le clame dans la chanson Opération mana mana, figurant sur l’album Pré’Volution de Smockey, le collectif veut jouer le rôle de sentinelle de la bonne gouvernance et de la démocratie.

Toutefois, le Balai citoyen doit faire face à des défis majeurs. D’une part, il se pose avec acuité la question de la pérennité de sa ligne idéologique : rester une sentinelle ou descendre dans l’arène politique. Rechercher un mandat électif conduirait à un détournement ravageur de l’objectif de départ. Le cas ivoirien est, à cet égard, très évocateur : dans une logique d’ « économie morale de la dette patriotique », les Patriotes se sont transformés au fil du temps en « ventriotes » (Banégas, 2010). D’autre part, le mouvement doit résister à diverses tentatives de déstabilisation et de récupération politique : dissensions internes, infiltrations par des partis politiques, accusations d’enrichissement illicite, etc.

De façon plus globale, la réflexion autour de la participation effective des acteurs culturels dans la gouvernance sociale et politique pourrait s’ouvrir à ces pertinentes interrogations du professeur Mahamadé Savadogo : « La culture, à travers ses acteurs reconnus, soutient-elle le combat pour le progrès social ? La créativité à laquelle se dévouent les acteurs de la culture se préoccupe-t-elle de la justice sociale [18] ? »

Notes
* Ce texte est le résumé de l’article, plus long, que j’ai écrit dans le cadre de ma participation au 7ème Sommet des arts et de la culture à Malte du 18 au 21 octobre 2016.

[1] Richard Banégas et Jean-Pierre Warnier parlent plutôt de « nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », dans Politique africaine, 2001/2 (N°82).

[2] Marco Canepari, « Interview: Smockey », Rhythm Passport, avril 2016.

[3] Olivier Bailly, « Zêdess », Jeune Afrique, 15 avril 2009.

[4] Louise Agar, « Ouagadougou : à la scène comme dans la rue », Libération, 11 novembre 2014.

[5] Mahamadé Savadogo, « Création et changement social », Communication donnée le 25 septembre 2010 au CBC à Ouagadougou.

[6] Lors de la rencontre « Portrait d’artiste », organisée par l’Institut français de Ouagadougou, le 25 juin 2016. Le lendemain, l’artiste se produisait en live dans la cour de l’institut, avec d’autres artistes qu’il a invités, à l’occasion de la Fête de la musique.

[7] Yaya Boudani, « Smockey ni rebelle, ni révolutionnaire, juste libre », RFI, 24 mars 2015.

[8] Jean-Baptiste Koli, « Fela. La rébellion dans l’âme », Jeune Afrique n°1910-1911 du 13 au 26 août 1997.

[9] Omar Abdel Kader, « Sams’ K le Jah : sa voix tourne dans les wôrô-wôrô », Topvisages.net, publié le 14 octobre 2013 par Cafeaboki.com.

[10] Juste Samba, « Sams’ K Le Jah : ‘’Héritier de Thomas Sankara, élève de Norbert Zongo’’ », Fasozine n°61, Janvier-février 2016.

[11] Richard Banégas, Jean-Pierre Warnier, « Nouvelles figures de la réussite et du pouvoir », Politique africaine 2001/2 (N° 82), p. 5-23.

[12] Pour Sankara : « Seule la lutte libère ». Repris par Smockey dans sa chanson Les fruits d’une lutte, Norbert Zongo avance ceci : « Il n’y aura jamais de victoire sans lutte parce que personne, je dis bien personne, ne vous donnera rien gratuitement, surtout pas les fruits d’une lutte pour une vie ».

[13] Maria Malagardis, « Thomas Sankara, l’âme de fond de la révolution au Burkina Faso », Libération, 14 novembre 2014.

[14] Citoyens balayeurs.

[15] Ra-Sablga Seydou Ouédraogo, « Artistes et acteurs culturels dans l’insurrection populaire au Burkina Faso », Africalia, consulté le 23 janvier 2016.

[16] Jean-Marc Adolphe, « Il se passe quelque chose… (sauf dans la culture) », Mediapart.fr, 19 avril 2016.

[17] David Commeillas, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde diplomatique, Avril 2015.

[18] Mahamadé Savadogo, Idem

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