L’œil du cyclone, ou le drame des enfants soldats

Article : L’œil du cyclone, ou le drame des enfants soldats
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30 juillet 2015

L’œil du cyclone, ou le drame des enfants soldats

Source: rfi.fr
Source: rfi.fr

Après son sacre [1] au Fespaco 2015, L’œil du cyclone du réalisateur burkinabè Sékou Traoré fait à nouveau sensation. Prévue seulement pour la semaine du 13 juillet, sa projection a été prolongée jusqu’au 8 août 2015, drainant chaque soir beaucoup de  monde aux cinés Burkina et Neerwaya.

Au cœur de l’Afrique des guerres
Le film s’ouvre sur un diaporama d’images violentes de pays africains en guerre : des armes, des morts, des militaires, mais aussi des enfants soldats. Puis un rebelle, Blackshouam, capturé par un commando des forces spéciales, est transféré à la prison afin d’être jugé pour crimes de guerre. Pour le défendre, est commise d’office l’avocate Emma Tou qui s’engage au nom d’une justice équitable.

Ainsi se campe le décor d’un film qui, en une centaine de minutes, va effectuer une plongée spectaculaire au cœur de la géopolitique africaine, marquée par la corruption, les trafics et les guerres. L’histoire se déroule dans un pays imaginaire d’Afrique, un peu semblable à la Sierra Leone et au Congo, évoqués dans le film.

Un chef d’œuvre poétique
Inspiré de la pièce théâtrale du même nom du dramaturge Luis Marques, L’œil du cyclone se déploie comme une fiction-réalité d’une étonnante force poétique. S’attardant sur les détails, privilégiant volontiers le suspense, le réalisateur distille au fil de l’intrigue une trame émotionnelle envoûtante.

Les scènes tournées au Burkina Faso, comme à la prison de haute sécurité, présentent le pays sous les meilleurs auspices. A aucun moment l’on ne se croirait au  » pays des hommes intègres  » avec sa terre ocre, ses rues sinueuses et ses bâtiments jaunis par la poussière. Ici s’exprime pleinement la beauté de l’image.

Le scénario nous renvoie à l’âge d’or du cinéma burkinabè avec des figures de proue comme Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré dont la qualité des productions filmiques le disputait à la magie de la ligne dramaturgique. Pas étonnant que ce film ait raflé sept prix au Fespaco 2015 et continue de remporter succès et récompenses [2].

 Deux mondes qui s’affrontent
Dans ce procès hautement politique se joue une guerre entre deux mondes, gouvernement et rébellion, justice et impunité. Plus en profondeur se dessine une confrontation entre deux fortes personnalités que tout oppose a priori.

D’un côté se trouve Maître Emma Tou, incarnée par la Sénégalo-Guinéenne Maïmouna Ndiaye, dans un remarquable jeu de rôle. Avocate, défendant la veuve et l’orphelin, elle est la fille d’un riche bijoutier et ancien responsable commercial d’extraction de diamants.

De l’autre côté, il y a le rebelle Blackshouam, une vraie brute. Diabolisé à outrance, avec ses yeux révulsés, le regard perdu dans le néant, le rire sadique, le rebelle, joué avec fougue par l’Ivoirien Fargass Assandé, n’inspire que crainte et méfiance. Son nom de guerre, très évocateur : colonel Hitler Mussolini. Un effroyable assemblage de noms de deux grandes figures tristement célèbres du siècle dernier, Adolf Hitler et Benito Mussolini.

Mais il y a peut-être un point de convergence entre les deux protagonistes : une part d’humanité qui ne s’exprime pas. Maître Emma Tou n’a aucune attache sentimentale. Blackshouam, devenu enfant soldat dès l’âge de huit ans, n’a connu que haine et violence, loin de l’affection de ses parents. C’est certainement ce vide qui va les rapprocher au fil de la préparation du procès.

 Les enfants soldats, un véritable problème
En effet, une intimité complice va naître peu à peu entre les deux. Alors que Maître Tou prépare minutieusement sa défense, Blackshouam est plutôt porté vers l’histoire sentimentale de celle-ci. Une intrusion cocasse dans l’intime de cette avocate.

Autres moments particuliers, lorsque Blackshouam craque et éclate en sanglots à la vue des photos de familles qui ont été massacrées ou devant le souvenir de ses parents. Comme un paradoxe montrant qu’un ancien enfant soldat est toujours capable d’émotion et de sentiment.

On y croit surtout lorsque Maître Tou et Blackshouam exécutent une danse majestueuse au rythme de la salsa. La musique résonne au cœur de la prison, mais brusquement, l’homme s’agrippe à la femme et l’étrangle à mort. L’a-t-il tuée parce qu’elle a décidé de s’en aller après avoir gagné le procès ? L’on n’en saura pas davantage.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce dernier crime du rebelle vient rappeler que la violence est profondément ancrée en lui. Comme lui, à travers le monde, des milliers d’enfants soldats sont pris dans l’engrenage de la violence, devenus malgré eux de véritables bombes à retardement. Le film se termine comme il a commencé avec des clichés de guerre, suggérant l’idée d’un interminable cercle vicieux dans le gouffre africain des guerres.

Tout en dénonçant le phénomène des enfants soldats sur le continent, L’œil du cyclone sonne aussi comme une interpellation des décideurs africains et de la communauté internationale sur cette question endémique.

[1] L’œil du cyclone a remporté sept prix au Fespaco 2015 dont l’Etalon du Bronze, les prix de la meilleure interprétation féminine et de la meilleure interprétation masculine.

[2] Le film a aussi reçu les prix du meilleur long métrage et de la meilleure interprétation féminine au Festival international du cinéma et de l’audiovisuel du Burundi (FESTICAB), ainsi que les Ecrans du meilleur comédien international et de la meilleure comédienne internationale au festival Ecrans noirs (Cameroun).

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