Stop Ebola, une campagne mondiale en décibels

14 décembre 2014

Stop Ebola, une campagne mondiale en décibels

Stop Ebola

Il est une actualité qui défraie la chronique ces derniers mois : Ebola. Tout autant que la montée en puissance du terrorisme dans plusieurs parties du monde, la fièvre hémorragique fait couler beaucoup d’encre et de salive. Depuis sa réapparition fin décembre 2013 en Guinée, son expansion exponentielle suscite des réactions tout aussi absurdes qu’incongrues. A la crise sanito-humanitaire inhérente à cette épidémie a succédé la crise de la phobie.

Le 30 octobre 2014, paraissait dans le New York Times une tribune [1] de la célèbre chanteuse béninoise Angélique Kidjo. Elle y dénonçait l’attitude désinvolte d’une opinion publique occidentale encline à diaboliser exagérément tout le continent africain du fait du virus Ebola. Cette posture, poursuit-elle, remet au goût du jour les préjugés fantaisistes au sujet d’une Afrique en proie aux maux les plus sinistres. Une situation qui présente le risque d’une déshumanisation de l’Afrique. Le hashtag « #IAmALiberianNotAVirus », circulant sur la twitosphère, en réaction à ce que certains qualifient de racisme et d’afrophobie, en est une parfaite illustration.

C’est un sentiment entièrement partagé par Michel Sidibé, Directeur exécutif de l’Onusida et Secrétaire général adjoint des Nations Unies. « J’ai l’impression de revivre les années 1980, quand, face au VIH, prévalaient la peur et l’exclusion » [2], s’indigne-t-il dans une tribune parue en décembre dans Jeune Afrique.

Dédramatiser Ebola en chanson
Avant cette saillie médiatique d’Angélique Kidjo, d’autres artistes africains ont joint leurs voix à la campagne de sensibilisation et de lutte contre la maladie. A priori banale, cette mobilisation de la communauté artistique prend les allures d’un plan de sauvetage. En effet, nombreux sont encore ceux, sur le continent, qui sont dubitatifs quant à la réalité du virus. [3]

A titre individuel ou au sein de collectifs, les artistes ont fait le choix de la simplicité et de la concision pour véhiculer leur message. « Stop Ebola », c’est le mot d’ordre repris en chœur dans les chansons dont l’architecture sémantique reprend les précautions d’usage et les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé : éviter de manger la viande de brousse, se laver les mains avec du savon, respecter les mesures d’hygiène, éviter tout contact direct avec le sang et les liquides biologiques des malades, etc.

« Un geste pour la vie », résume le collectif des artistes de la Guinée et de la sous-région ouest-africaine. Mais c’est aussi un cri d’espoir.« Pas de fatalité, ni de résignation / Pas de banalité, ni de soumission », poursuit le collectif, avant d’ajouter : « On s’en sortira !».

En unissant leurs voix autour de l’épidémie d’Ebola, les artistes ravivent la flamme d’une solidarité africaine légendaire contre une maladie qui se propage en totale méconnaissance des frontières physiques. Venant d’univers musicaux divers et de différents pays, ils sont engagés jusqu’au bout. Certains d’entre eux font plus d’une apparition à l’image du Sénégalais Didier Awadi qui chante au sein du collectif des artistes de la Guinée et de la sous-région ouest-africaine et du collectif Africa Stop Ebola. Après une parodie de « Umbrella » de Rihanna, intitulée « Ebola est là », sur l’apparition du premier cas d’Ebola au Sénégal, son compatriote Xuman s’engage également auprès du mouvement Y en a marre. Sollicitant parfois les plus jeunes, comme dans le clip « Stop Ebola » du collectif Ménéwou du Togo ou avec les enfants de Sen P’tit Gallé du Sénégal dans le clip du mouvement Y en marre, les artistes rappellent que cette crise épidémique touche tout le monde sans exception: petits et grands, hommes et femmes.

La gravité de la maladie ne semble pas autoriser de détournement fantaisiste, à l’instar de la star ivoirienne du coupé-décalé DJ Lewis qui banalisait en 2006 dans une chanson la grippe aviaire H1N1. « La grippe aviaire est vaincue en Côte d’Ivoire. Pendant que ça agit ailleurs, nous on prend pour faire concept », lançait-il dès l’entame du morceau. Contre le virus Ebola, dont le taux de létalité peut atteindre les 90%, vaut mieux prendre un air plus ou moins sérieux, même sur une rythmique entraînante coupé-décalé. Sous la casquette d’un reporter, il met tout de suite en garde : « Ebola, c’est dangereux. [Le message est simple : tu t’amuses, ça te tue». Même son de cloche avec son compatriote Israël Yoroba, journaliste et web-entrepreneur, qui prodigue des conseils à travers une chanson reggae.

Dans un souci d’efficacité évidente, dans un contexte marqué par un faible taux d’alphabétisation, les textes sont chantés, outre le français et l’anglais, dans les langues vernaculaires : mooré, jula, bambara, wolof, soussou, malinké, lingala, éwé, mina, kabiè, etc.

Misant sur sa popularité, la diva de la musique ivoirienne Aïcha Koné a d’abord lancé un single dénommé « Ebola », avant d’inviter d’autres artistes à participer à cet élan solidaire dans un deuxième titre, « Ebola act 2 ». En faisant passer de courts messages sur des pancartes, elle semble vouloir rattraper ce qu’elle a oublié de véhiculer en premier lieu, c’est-à-dire un message fort : « Soyez prudents », « Ebola est notre ennemi » ou encore « Ebola est une réalité ».

Si la sensibilisation est le leitmotiv de cet engagement des artistes africains, ceux-ci ne perdent pas de vue le plus urgent : les pays africains touchés par la maladie ont besoin du vaccin, comme le précise le collectif Africa Stop Ebola. Amené par l’ivoirien Tiken Jah Fakoly, ce collectif regroupe des icônes de la musique africaine comme Amadou et Mariam, Salif Keïta, Barbara Kanam et Mory Kanté.

Danser contre Ebola
Reprenant le principe du Ice Bucket Challenge, l’ONG américaine Emergency USA a lancé début octobre le mouvement #ShakeEbolaOff.

Le principe est simple : mettre en scène une performance chorégraphique, sur une musique de son choix, et faire un don à l’ONG, avant de lancer le défi à d’autres personnes. Les réactions ne se sont pas faites attendre. Depuis, plus de 360 vidéos ont été postées sur les réseaux sociaux. Plusieurs personnalités se sont prêté au jeu. C’est l’exemple de l’actrice Naturi Naughton, du réalisateur Kevin Bacon, des Denver Bronco Cheerleaders, de la star Brandon Bryant de l’émission « So You Think You Can Dance » ou encore du chorégraphe Chris Downey. Objectif : récolter un million de dollars [4].

Ce défi n’est pas sans rappeler cet autre défi, #MousserContreEbola, qui s’inscrit dans la même veine. Lancé mi-août par la blogueuse ivoirienne Edith Brou, il consiste à se verser un seau d’eau savonneuse ou, à défaut, à distribuer un lot de boîtes de gel hygiénique pour les mains [5].

En attendant le remède, prions et frimons !
Pendant que les sociétés médicales et pharmaceutiques sont à pied d’œuvre pour essayer de trouver le remède contre Ebola, l’heure est à la prière. Décrit par certains comme le sida du 21ème siècle, le virus suscite plusieurs interrogations. « Sommes nous réellement à la fin de ce monde ? [] Ou c’est la nature qui nous envoie juste ses mauvaises ondes ? », se demande le collectif des artistes du Burkina Faso. Puis de préconiser : « Si c’est une malédiction, alors prions ». Pour le collectif des artistes guinéens et de la sous-région ouest-africaine, il n’y a pas de doute : « C’est la volonté divine / Prions jour et nuit ». Métamorphosé en guérisseur traditionnel, DJ Lewis opte d’invoquer les mânes des ancêtres pour conjurer le sort de l’Ebola en pleine forêt tropicale. Comment ? En offrant une danse expiatoire consistant en un roulement frénétique de bassins.

A quelque chose, malheur est bon. La crise de l’Ebola a aussi ses côtés positifs. Passons ici tout le commerce qui se développe autour de la maladie. En manque de visibilité, le Libérien George Weah, ancien footballeur international et candidat malheureux à l’élection présentielle de 2005, s’est saisit de l’occasion pour se relancer sur la scène internationale avec une chanson contre Ebola [6]. Engagé dans un bras de fer avec JB Mpiana, Koffi Olomidé a récupéré à son propre compte le sobriquet censé être injurieux que ce dernier lui a attribué : “Vieux Ebola”. Même si cela lui a valu une brève mise en garde, il s’en est saisi pour se faire le défenseur des malades du virus. Enfin, on retrouve un DJ Lewis fringant qui se félicite de sa popularité : « j’ai été contacté par l’OMS, le Ministère de la santé de la Côte d’Ivoire, le Ministère de la santé du Burkina Faso, le Ministère de la santé de la Guinée équatoriale, George Weah et Samuel Eto’o fils ».

Finalement, entre propositions artistiques originales et guerre médiatique, la campagne de lutte contre le virus Ebola a passé les frontières des canaux traditionnels de sensibilisation. La mobilisation contre le virus Ebola se poursuit et s’intensifie, comme avec le collectif All against Ebola en ce mois de décembre ou, en dehors du continent africain, avec les artistes britanniques et français. Mais, il ne faut pas occulter la réalité : plutôt préoccupés par la fulgurante propagation du virus, beaucoup ont laissé de côté l’essentiel, à savoir aider les pays les plus touchés à lutter contre la maladie dans un élan de solidarité internationale soutenue.

Notes
[1] Angélique Kidjo, « Don ‘t Let Ebola Dehumanize Africa », The New York Times, 30 octobre 2014.

[2] Michel Sidibé, « Ebola et sida, même combat », Jeune Afrique N° 2813 du 7 au 13 décembre 2014, p.33.

[3] Jeune Afrique, « Ebola : 17 malades s’enfuient après l’attaque d’un centre d’isolement au Liberia », 18 août 2014.

[4] Alice G. Walton, « Grassroots Social Media Campaign Aims To Raise $1 Million In The Ebola Fight », Forbes, 21 octobre 2014 .

[5] Amandine Schmitt, «  »Mousser contre Ebola », le Ice Bucket Challenge à l’ivoirienne », Le Nouvel Observateur, 17 septembre 2014.

[6] Damien Glez, « Liberia : Ebola maître chanteur », Jeune Afrique, 28 août 2014.

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