Laisser la place aux jeunes. Conflit intergénérationnel ou étroitesse du marché de la danse en Afrique ?

Article : Laisser la place aux jeunes. Conflit intergénérationnel ou étroitesse du marché de la danse en Afrique ?
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23 octobre 2015

Laisser la place aux jeunes. Conflit intergénérationnel ou étroitesse du marché de la danse en Afrique ?

© Dança em Trânsit.  Romual sans D, création 2014 de Romual Kaboré
© Dança em Trânsit.
Romual sans D, création 2014 de Romual Kaboré

Bon nombre de jeunes danseurs africains reprochent à leurs aînés, le plus souvent à demi-mot, de leur faire de l’ombre ou de ne pas leur tendre suffisamment la main. Aux antipodes de cette attitude, d’autres comme le danseur et chorégraphe burkinabè Aguibou Bougobali Sanou défendent une autre position : « Aînés, laissez-nous la place maintenant ! [1] ». Au-delà du conflit intergénérationnel entre artistes africains qu’elle suppose, cette requête permet de mettre en lumière un malaise plus profond : l’absence de marché pour la danse contemporaine en Afrique. Etude de cas à partir du Burkina Faso.

 Une chaîne de transmission jamais rompue
Tels que formulés, les griefs de certains artistes à l’encontre de leurs aînés distillent de façon pernicieuse dans l’imaginaire collectif l’idée erronée d’un conflit intergénérationnel ouvert. Le conflit de génération se définissant, selon François Grima, « comme une difficulté à travailler avec des personnes d’une génération différente, voire une préférence pour travailler avec des personnes de la même génération [2] ».

Or dès le début du mouvement de la danse contemporaine sur le continent, les premiers artistes chorégraphiques n’ont eu de cesse de développer différentes initiatives de transmission de savoirs aux plus jeunes, comme c’est le cas au Burkina Faso.

Dès 1997, seulement deux ans après la création de leur compagnie, Salia nï Seydou, les chorégraphes Salia Sanou et Seydou Boro ont été animés par ce désir ardent de partager leurs savoirs avec les jeunes à travers l’organisation régulière d’ateliers de danse. A partir de l’an 2000, ils ont lancé le festival de danse, Dialogues de corps. Et que dire de ce lieu unique sur le continent qu’est la Termitière ?

Depuis son inauguration en 2006, ce joyau a permis de former nombre de danseurs professionnels et accueilli en résidence ou en performance des compagnies du monde entier. De ses programmes artistiques novateurs, comme « Je danse donc je suis » ou « Chrysalides », ont été formés des artistes chorégraphiques qui constituent aujourd’hui la nouvelle génération jouant sur de grandes scènes à l’international. C’est l’exemple de Romual Kaboré, Ousséni Dabaré, Salamata Kobré et Adjaratou Savadogo, anciens étudiants du programme « Je danse donc je suis », pour qui le chorégraphe Herman Diephuis a chorégraphié la pièce Objet principal du voyage en 2012. En tournée au Burkina Faso et en France, le spectacle sera joué en 2016 au Tarmac de la villette de Paris. Alors qu’il a été à nouveau sollicité par Diephuis pour sa nouvelle création 2015, CLAN, Ousséni Dabaré joue, par ailleurs, dans le spectacle Clameurs des arènes du chorégraphe Salia Sanou et dans Declassified Memory Fragments du chorégraphe Olivier Tarpaga. Cette dernière pièce, dans laquelle joue un autre danseur formé à la Termitière, Abdoul Aziz Dermé, a fait l’objet d’une tournée de trois semaines en septembre 2015 aux Etats-Unis. Après son premier solo, Romual sans D, qu’il a joué en France, au Brésil et en Île de la Réunion, Romual Kaboré vient de terminer la création de son nouveau spectacle, L’interview. Un spectacle inédit qui organise un dialogue entre le corps en mouvement et les jeux de lumière. D’autres anciens étudiants du programme sont sollicités par des chorégraphes de renom, à l’instar de Robert Kiki Koudogbo qui joue dans le dernier spectacle de Andréya Ouamba, J’ai arrêté de croire au futur…, tout comme de Salamata Kobré et Mariam Traoré dans Le bal du cercle de Fatou Cissé.

L’ouverture en 2009 de l’EDIT (Ecole de danse internationale Irène Tassembédo) n’est que le prolongement de ce fastidieux travail de formation engagé par la chorégraphe Irène Tassembédo à travers les sessions de formation professionnelle qu’elle organisait entre deux tournées, mais aussi plus formellement au sein du Ballet national qu’elle a dirigé de 1998 à 2007. Quelques danseurs diplômés de cette école se distinguent aujourd’hui sur les scènes artistiques nationales et internationales. Formé à la même école qu’Irène Tassembédo, Mudra Afrique, le chorégraphe Lassann Congo n’a eu de cesse depuis le début des années 1980 de transmettre son savoir-danser aux plus jeunes.

D’autres expériences de transmission de savoirs existent et témoignent de cette volonté commune de partage et d’échange. Pour ne citer que quelques-uns, la compagnie Auguste-Bienvenue, dirigée par Auguste Ouédraogo et Bienvenue Bazié, a mis en place en 2008 le projet Engagement féminin [3] à destination des danseuses africaines. En 2014, le chorégraphe Serge Aimé Coulibaly a ouvert les portes de son espace à Bobo-Dioulasso, Ankata. C’est un laboratoire de recherche, de création et de production des arts de la scène.

Toutes ces initiatives constituent des perches tendues par les aînés que les jeunes artistes doivent savoir saisir pour se propulser vers l’avant. Le danseur burkinabè Issa Sanou nous en donne une preuve assez édifiante. Sa participation impromptue à l’audition du chorégraphe français Hervé Koubi en 2010 à la Termitière lui a ouvert grandement les portes de l’international. Aujourd’hui installé en France, il tourne régulièrement avec la compagnie Hervé Koubi et développe parallèlement ses projets chorégraphiques personnels au sein la compagnie Sanou Ka Sanu, qu’il a créée en 2012.

Ainsi, loin d’être un conflit intergénérationnel, le malaise qui frappe de plein fouet le monde de la danse, et plus largement des arts, prend racine dans une faiblesse sinon une quasi-inexistence d’un véritable circuit de diffusion.

Le marché des arts, un secteur en crise
À la décharge de ceux qui voient dans leur inertie la main de leurs devanciers, on peut concéder un fait : les contextes ont bien changé. Finie, en effet, l’époque de « l’invention d’une danse africaine contemporaine [4] », pour reprendre l’expression de Annie Bourdié. À la faveur du vent démocratique qui soufflait en Afrique à l’aube de la décennie 90, avec à la clé l’avènement du multipartisme, la création artistique était pensée par les autorités politiques françaises comme un facteur de développement du continent africain. Cette politique africaine de la France va ouvrir la voie à un vaste programme d’aides publiques à la création africaine à travers la Fondation Afrique en Créations en 1991. Fusionnant avec l’Association française d’action artistique (AFAA) en 2000, cette fondation sera rebaptisée Culturesfrance en 2006 avant de devenir dès 2011 un pôle du département des échanges artistiques de l’Institut français. Cette vaste opération a favorisé l’éclosion de nouveaux talents chorégraphiques, de compagnies, de lieux dédiés à la danse, mais aussi la mise en place d’une rencontre interafricaine de la danse contemporaine, Danse l’Afrique danse !

Passée cette période faste, la crise économique mondiale va astreindre les autorités françaises à une réorientation stratégique des priorités en matière de coopération culturelle et artistique avec le continent africain. Les coupes budgétaires qui s’en ont suivi ont eu des conséquences désastreuses sur le marché des arts. Un marché, nous rappelle Coralie Pelletier, structurellement déficitaire et déséquilibré car ne relevant pas d’une logique productiviste industrielle, mais dépendant fortement d’un interventionnisme financier public [5]. L’asymétrie spectaculaire entre les besoins du milieu de la danse contemporaine et les crédits alloués par le domaine public ont provoqué de graves dysfonctionnements dans le secteur. À titre d’exemple, beaucoup de compagnies n’ont pas pu boucler leurs budgets de production, tandis que des théâtres ont dû annuler tout ou partie de leur programmation artistique sur la saison 2014/2015 en France [6].

Alors que les programmes artistiques mis en place par l’Institut français pour le continent semblent donner la primeur à des créateurs d’autres pays, la vitalité chorégraphique au Burkina Faso a connu un coup de ralentissement considérable. En dehors des trois festivals de danse – Dialogues de corps, FIDO et In-Out Dance Festival – rares sont les spectacles de danse qui sont présentés à l’Institut français de Ouagadougou ou à la Termitière. À la rareté des aides à la création, mais aussi à l’absence d’aides à la diffusion, vient se greffer l’épineuse question de la mobilité des artistes africains [7]. En résultent une léthargie de la création chorégraphique et une fuite des corps vers un ailleurs plus prometteur. Il peut donc être établi une relation de cause à effet entre l’absence de ressources financières et la perte de vitalité que connaît le secteur de la danse au Burkina Faso. Mais c’est là qu’apparaît le véritable défi à relever, celui de développer le marché de la danse contemporaine en Afrique.

 Élargir le marché africain de la danse contemporaine
La danse contemporaine ne pourra prospérer en Afrique que si elle réussit le pari de vaincre ses vieux démons : faire tomber les stigmates d’un art élitiste, hermétique et réservé à une classe d’initiés. Cela implique de sortir cet art nouveau de ses lieux traditionnels, en l’occurrence l’Institut français et la Termitière, pour lui donner une dimension populaire.

Cet élargissement du marché de la danse créative doit passer par une double action de structuration et de sensibilisation. Sur le plan structurel, il s’agit de mettre en œuvre des mécanismes efficaces de protection sociale et juridique pour les acteurs (application du statut d’artiste, prise en compte des œuvres chorégraphiques dans le recouvrement des droits d’auteur, système adapté de cotisations sociales et patronales, etc.). Cela implique aussi de renforcer l’organisation administrative du secteur (adoption d’une convention collective par les acteurs eux-mêmes, mise en place d’une politique de financement national équitable et dans la durée, etc.). Un climat sécurisé permettrait d’attirer dans le milieu artistique tous ces administrateurs culturels formés à l’Université de Ouagadougou depuis 2002, mais qui s’en détournent au profit de secteurs plus lucratifs.

Des politiques de sensibilisation doivent être adoptées et mises en œuvre sur le long terme. En plus d’apporter à de nouveaux publics cette nouvelle danse (spectacles hors les murs par exemple), les acteurs du milieu devraient adapter leurs propositions artistiques aux réalités locales en proposant une esthétique digeste. Faire naître l’envie, créer à terme la demande, c’est ce travail de longue haleine qu’a réussi à faire le CITO. Aujourd’hui les gradins de cet espace théâtral au cœur de Ouagadougou sont pris d’assaut par un public majoritairement burkinabè. Même son de cloche avec les Récréâtrales [8]. En transformant, à chaque édition de cet événement, la rue passant devant la Fédération du Cartel [9] en une grande scène théâtrale, mais aussi en installant chez les riverains des mini-scènes, les organisateurs ont réussi à fédérer le grand public autour du théâtre. Ce faisant, le théâtre est devenu un espace propice de dialogue social, mais surtout une affaire de tous.

Au titre de sa mission régalienne, il revient à l’Etat de mettre en place une véritable politique de soutien à la création chorégraphique. Hors du champ des appuis sporadiques et modiques, cette action doit s’inscrire dans une perspective au long cours. Le Grand Prix National de la création chorégraphique, lancé en 1997 par le Ministère de la culture, est un bel exemple qu’il serait heureux de reprendre en en confiant la structuration et l’organisation aux professionnels. Plus globalement, l’Etat, et en l’occurrence le ministère en charge de la culture, doit se départir du « tout musique » et du « tout cinéma » pour embrasser et donner la même considération à la large palette de mouvements artistiques, si dynamiques et si puissants. En outre, l’adoption récente par le gouvernement burkinabè du rapport relatif à la « Stratégie de valorisation des arts et de la culture dans le système éducatif burkinabè [10] » constitue, à n’en point douter, une aubaine à saisir, un terreau à explorer et à faire fructifier par tous les acteurs.

Sur le plan régional, la perspective d’une croissance économique et démographique soutenue, ainsi que l’émergence d’une classe moyenne, constituent autant d’atouts, autant de leviers sur lesquels appuyer pour redonner force et vitalité à la création chorégraphique. Parlant de l’art contemporain, Giles Peppiatt, expert chez Bonhams à Londres, estime, pour sa part, que « par certains aspects, l’Afrique est la Chine de demain dans le secteur artistique [11]».

 Pour conclure…
Au lieu de pousser des cris d’orfraie sur leur malheureux sort qu’ils lient à un fantasque désengagement de leurs aînés, les pourfendeurs de la première génération d’artistes chorégraphiques devraient s’employer à trouver des solutions au véritable problème auquel fait face la danse contemporaine sur le continent : l’absence de marché. S’enfermer dans un attentisme stérilisant, jeter l’opprobre sur l’ancienne génération, c’est se tromper de combat. La véritable lutte réside dans notre capacité à apporter des réponses concrètes à l’étroitesse sinon à la quasi-inexistence du marché artistique africain, en dehors de manifestations ponctuelles dont la pérennité et la force structurelle posent problème.

Notes
[1] Entretien du 31 juillet 2015 au Centre de développement chorégraphique la Termitière.

[2] François Grima, « Impact du conflit intergénérationnel sur la relation à l’entreprise et au travail : proposition d’un modèle », Management & Avenir 2007/3 (n° 13), p. 27-41. DOI 10.3917/mav.013.0027.

[3] Sarah Andrieu et Nadine Sieveking, « Faire bouger les choses! Engagement féminin et dynamiques sociales de la danse contemporaine en Afrique », Africultures, 7 février 2013.

[4] Annie Bourdié, « Art chorégraphique contemporain d’Afrique, enjeux d’une reconnaissance », Marges [En ligne], 16 | 2013, mis en ligne le 15 mars 2014.

[5] Coralie Pelletier, « Le marché de la danse contemporaine en France : enjeux, contraintes et paradoxes », Political science, 2013.

[6] Pierre-Emmanuel Mesqui, « 100 festivals supprimés à cause des baisses de subventions », Lefigaro.fr, 16 mars 2015.

[7] François Bouda, « La mobilité des artistes africains : une notion à connotation politique », Interartive, juillet 2013.

[8] Résidences panafricaines d’écriture, de création et de formation théâtrales de Ouagadougou.

[9] Structure d’administration et de gestion commune de cinq compagnies de théâtre burkinabè : la Compagnie Falinga, le Théâtr’ Evasion, le Théâtre Eclair, l’AGTB et la Compagnie du fil.

[10] Compte-rendu du Conseil des ministres du 9 septembre 2015.

[11] Sylvie Rantrua, « Emergence du marché de l’art africain », Sept.info, 20 juin 2015.

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Commentaires

kouemo joel valery
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les jeunne artiste demande au vieu de laissez la place de quel place somme nous entrain de parler ?. personnellement je suis un jeunne createur encor en evolution et je fait beaucoup de recherche sur l'utilisation des 392 danse traditionel de mon pays pour en faire une nouvel matière choregraphique. ce que je pense c'est que cette place que la plus part d'entre nous demande n'existe pas le monde appartient a celui ui le veut pas besoin d'autorisation. il n'existe pas de jeunne ni vieu artiste mais juste des artistes qui selon moi devrai defendre leurs projet moi j'ai pas besoin de l'autorisation d'un soit disant vieu pour faire mon travail celui qui aime ce que je fait voudra travaillé avec moi ou partagé son experience s'il en a plus celui qui veu pas ne pourra jamais m'empecher d'evolué pck nous somme 7 milliard sur terre avec 5 continant et je ne sais combien de pays comment peut on insinué qu'un vieu puisse blocqué une quelconque route ? c'est a dire meme ceux qui pense bloqué ce foute de leur propre geule parceque c'est juste leurs propre heritage qu'il jette a la poubelle et sa ne regarde que eux.....chacun devrais crée son propre heritage et le transmettre afin que son passage sur terre ne soit pas comme un coup de vend.

chacun crai sa route et laisse passer qui il veu comme on dit souven celui qui voudra pas bosser avec moi pretexte que je suis jeunne je crerais mais projet et lui de meme ne sera jamais le bienvenu dans les mien. la chacun trankil de son coté l'essentiel est que chacun travail. TANT qu'il y'aura un publique il n'aura touours le travail pour tous quelque soit notre age , experience ou niveau choregraphique.