Le président Roch Marc Christian Kaboré est-il mal venu en France ?

19 avril 2016

Le président Roch Marc Christian Kaboré est-il mal venu en France ?

Première visite du président Kaboré en France
@aouaga.com avec AFP

La première visite – officielle ou de travail ? [1] – en France du président burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, du 4 au 7 avril 2016, a suscité moue ou courroux sur les réseaux sociaux et dans la presse burkinabè de la part de nombre de ses compatriotes. Pour beaucoup, l’accueil que lui a réservé l’Elysée porte la charge d’un mépris cinglant à son encontre.

Mais à l’analyse, cette polémique, noyée dans le raz-de-marée médiatique des « Panama Papers », remet sur la table des débats la lancinante question de la relation de la France avec ses anciennes colonies.

Une légitimité en souffrance ?
Sur les réseaux sociaux, les commentaires vont train, chacun y allant de son analyse et de son indignation face à la réception du président Kaboré par les Autorités françaises. Il en est de même de différentes personnalités politiques burkinabè qui, dans des déclarations à la presse, regrettent cet accueil « au rabais ». L’actuel ministre des affaires étrangères, Alpha Barry, a quant à lui appelé à « dédramatiser » la situation, l’accueil du président burkinabè s’inscrivant dans une tradition protocolaire française clairement définie.

En effet, le Protocole français distingue quatre types de visites : visites d’Etat, visites officielles, visites de travail et visites privées. A en croire Marie-France Lecherbonnier [2], seules les visites d’Etat donnent voie à la plus grande solennité. Cela inclut notamment l’accueil du président hôte par un ministre à la coupée de l’avion, avec à ses côtés, entre autres, les deux ambassadeurs des pays intéressés. C’est le cas du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara, en visite d’Etat, accueilli le 25 janvier 2012 par le Ministre de l’Intérieur, de l’Outremer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration, Claude Guéant.

Pour ma part, conclure à un acte hautement irrévérencieux vis-à-vis du président burkinabè c’est se tromper de combat. Conditionner sa légitimité démocratique à l’aune du dispositif protocolaire déployé en son honneur, c’est tomber dans le piège béat d’un néocolonialisme à rebours que l’on est supposé dénoncer. C’est enfin remettre en cause le combat du peuple burkinabè et le sacrifice onéreux de ses martyrs pour l’émergence d’un ordre démocratique nouveau.

Les signes d’une Françafrique résiliente
Sans entrer dans le questionnement en profondeur du mouvement françafricain, notamment en ses manifestations mafieuses et claniques, il se dégage de ces remous à répétition entourant les visites des présidents africains en France l’expression d’un complexe relationnel des pays africains vis-à-vis de la France.

Ce n’est pas la première fois que la visite d’un Chef d’Etat africain en France fait couler tant d’encre et de salive. En février 2013, l’accueil du président camerounais Paul Biya par l’Ambassadeur français au Cameroun, Bruno Gain, avait provoqué les mêmes critiques de la part des Camerounais. On se souviendra aussi que la réception du président Thomas Sankara lors du Somment France-Afrique de Vittel en octobre 1983 avait fait l’objet d’une vive protestation de sa part [3]. Reçu à sa descente d’avion par Guy Penne, alors Conseilleur aux affaires africaines de François Mitterrand, il avait au préalable refusé d’assister le même soir au dîner donné en l’honneur des Chefs d’Etat africains. Bévue protocolaire ou pas, dans une conjoncture marquée par des relations plutôt tendues entre Paris et Ouagadougou, cette protestation de Sankara témoigne de sa volonté de dénoncer le décalage frappant entre les dispositions protocolaires déployées en France et celles en Afrique.

Décomplexer les relations avec la France
Au lieu de s’agiter et d’éructer au détour de chaque supposée mise en pièce de notre légitimité démocratique, le véritable défi pour les Etats africains consiste à actualiser leurs dispositifs protocolaires. Procéder à une harmonisation des protocoles, dans un souci de réciprocité légitime, marquerait un début de résolution de la question. Les mises en scènes rocambolesques, mobilisant toute l’équipe gouvernementale au pied de l’avion tout comme des foules agglutinantes massées le long des artères sous un soleil cuisant, n’honorent en rien nos présidents. Si ce n’est de leur conférer l’apparence de marionnettes incapables de s’assumer.

Dans le même élan, il est temps de régler la question du franc CFA qui défraie également la chronique en ce moment. Son arrimage à l’euro, selon des accords déséquilibrés forçant les pays africains francophones à verser 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français, cause bien des torts aux économies africaines. La véritable libération politique et culturelle de l’Afrique passera inéluctablement par celle de son économie, et en l’occurrence par la mise en place d’une monnaie autonome vis-à-vis de la Banque de France.

A l’heure de l’économie-monde, il est plus qu’impérieux de procéder à un rééquilibrage des rapports de force entre Etats souverains. La légitimité de nos Chefs d’Etat n’est pas à situer dans la bénédiction d’un quelconque pays dont l’accueil tiendrait lieu de baromètre démocratique. Elle est plutôt à rechercher dans la construction d’un idéal démocratique fondé sur des élections libres et transparentes, le respect des droits et l’égalité des chances. Cette légitimité-là constitue le socle sur lequel doivent s’appuyer les pays africains pour faire entendre leur voix sur l’échiquier politique international.

Notes
[1]
L’Ambassade de France au Burkina Faso annonce sur son site Internet une visite de travail, tandis que la Présidence du Faso parle d’une visite officielle. La distinction entre ces deux types de visite est extrêmement importante, dans la mesure où la nature de la visite détermine le type d’honneurs réservés au président hôte.

[2] Marie-France Lecherbonnier, « Lettre d’information n°89 : La visite d’Etat en France », 19 avril 2013.

[3] Frédéric Lejeal, « Sankara et la France: secrets de famille », Jeune Afrique, 22 octobre 2007.

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